Le bureau, ce nouvel outil de management
Le08 Nov 2018
Les espaces de travail doivent désormais être mis à contribution pour générer de l’intelligence collective.
Le travail a traversé les âges avec une constante : le lieu de production a toujours été circonscrit à un espace physique bien délimité – le champ, l’usine, le bureau – où étaient mis à disposition les outils et la matière pour travailler – la terre, la machine, le téléphone, le PC… Depuis une trentaine d’années, l’immobilier de bureau répond essentiellement à une logique capacitaire et financière: il s’agit surtout de « stocker » le capital humain à des heures fixes et selon un ratio précis de mètres carrés par poste de travail. Puis de rationaliser les espaces pour réduire les charges et améliorer le résultat net et donc la valeur de l’entreprise. Le bâtiment de bureau a ainsi été optimisé de sa conception à sa construction, avec des espaces normés pour remplir une fonction précise (un hall d’accueil, un réfectoire…). Jusqu’à aujourd’hui, si l’on schématise, un mètre carré de bureau valait n’importe quel autre mètre carré de bureau, l’immobilier tertiaire était devenu une « commodity », titrisée et échangée sur les marchés comme n’importe quel actif financier. Dans ce monde, l’architecture a longtemps été une question secondaire consistant grosso modo à répliquer des modèles standards. Sauf à travailler sur une adresse d’exception ou à réaliser un geste spectaculaire et, disons-le, un peu gratuit.
Le bureau comme incarnation physique du projet d’entreprise, et donc outil de management ? C’était hors sujet… jusqu’à aujourd’hui. Pendant des décennies, la question du lieu de travail était simplement hors du champ managérial et stratégique. Si vous êtes manager et que vous lisez ces lignes, posez-vous la question : avez-vous déjà reçu un quelconque enseignement sur l’espace de travail comme levier de performance ? Et puis soudain, le post-fordisme et la révolution numérique ont fait voler en éclat ces réalités presque millénaires. Notre économie est entrée dans une ère de la connaissance et de la complexité, qui favorise l’innovation et la créativité plutôt que la standardisation et la recherche de l’efficacité économique à tout prix. La lame de fond est venue de la Silicon Valley, au moment de la crise des subprimes. L’écume de cette grande vague, c’est l’esprit start-up, les canapés, les baby-foots… Le fond, c’est la nécessité, vitale pour les entreprises, de créer une nouvelle forme d’organisation, horizontale et collaborative, qui favorise les interactions, fait circuler l’information et génère de l’innovation. Car l’innovation se crée toujours à la frontière, à la rencontre de plusieurs domaines d’expertises.
L’être humain est un animal social qui a besoin d’interactions
Les bureaux opèrent depuis une révolution : ils ne sont désormais plus conçus pour stocker et optimiser des ressources, mais pour organiser des flux. Des flux d’informations, des flux d’idées, des flux de personnes, désormais libres de se déplacer à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment. Avec son bureau dans la poche, on travaille dedans ou dehors. De jour comme de nuit. Assis, debout ou couché. Le lieu de travail cesse d’être un strict centre de coûts, il devient une source de création de valeur, chargée d’aimanter des talents toujours plus mobiles, d’organiser l’intelligence collective, de créer un sentiment de communauté désormais vital… Bref, il devient un outil stratégique de recrutement et de management. Dans ce contexte, le rôle de l’architecte, comme celui du manager, change de dimension : il doit désormais prendre en compte la sociologie et la physiologie des personnes qui travaillent dans les bureaux. Il doit convoquer les découvertes les plus récentes des sciences dures et des sciences comportementales : économie, biologie, anthropologie, sociologie, psychologie… C’est ce travail de recherche que j’ai commencé il y a dix ans en créant une cellule de recherche interne, « Stream », au sein de mon cabinet d’architecture.
L’être humain est un animal social qui a besoin d’interactions avec ses semblables pour vivre, et a fortiori pour travailler. Privez-le de relations et vous endommagerez à coup sûr ses capacités physiques et mentales. L’évidence de ce postulat masque la complexité de son exécution : le job du manager, comme celui de l’architecte, consiste désormais à organiser au mieux ces interactions pour qu’elles soient productives, créatives.
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